« Câline » de Margot Reumont – Confronter son passé par l’art

Après s’être demandé  “et si j’étais un homme?”  dans son premier court métrage, la réalisatrice Margot Reumont nous livre sa propre psychanalyse dans sa dernière œuvre Câline. La réalisatrice souhaitait se souvenir de son enfance, et quoi de mieux que de faire son introspection par l’art? Fermer les yeux ne fait plus fuir les monstres ; c’est le constat de ce court-métrage d’animation sélectionné aux Césars 2023.

 Pour ce 6ème court-métrage, Margot Reumont s’écarte d’un style hyper-réaliste et lisse commun aujourd’hui, et se rapproche de l’animation traditionnelle. Entre une musique originale chaleureuse, reposante et des dessins se rapprochant de l’illustration, rappelant aussi l’aquarelle: tout est fait pour nous plonger dans un univers apaisant. L’histoire se déroule dans une grande maison de famille entourée de champs ou Coline doit faire du tri dans ses affaires d’enfants. Chaque objet qu’elle (re)trouve nous embarque dans ses souvenirs, nous assistons aux bains et aux balades avec son frère ou encore aux câlins émouvants avec sa mère avant de dormir.

Dans Câline, les espaces-temps se mélangent: le passé et le présent de Coline se rejoignent, se côtoient en gardant néanmoins toujours un certain recul. Les raccords d’un plan à l’autre sont très fluides, la réalisatrice semble avoir un faible pour les raccords objets et cela fonctionne parfaitement pour passer de la réalité dans laquelle Coline vit, à une réalité passée qui n’est plus que souvenir.  Un certain onirisme se dégage de cette œuvre, renforçant cette impression d’apaisement chez le spectateur.

Mais alors que les draps de Coline se transforment en montagnes et que les dessins changent de formes en fonction des émotions des personnages, la nostalgie fantastique rattachée à la petite enfance va laisser place à des souvenirs bien plus noirs durant l’adolescence. Le style très pur du court-métrage cache des thématiques bien plus sombres qui viennent percuter le spectateur, comme ces événements ont percuté le monde pur de cette enfant. Les deux séquences réalisées au fusain se font écho : les monstres dont Coline à peur la nuit deviennent réels. Le scénario monte crescendo et l’univers apaisant du court se trouve vite gangrené par l’anxiété et la violence. Fermer les yeux ne permet plus à Coline de faire fuir les monstres du divorce et de l’inceste. Plus Coline a grandit, et plus le monde est devenu austère : à l’inverse des jouets, ses souvenirs d’enfance ne peuvent pas être jetés ou mis de côtés. Le point de vue du père interroge avec justesse la question des souvenirs parentaux fantasmés, accroché à des souvenirs n’étant pas le reflet de la réalité vécue par leurs enfants.

Margot Reumont exorcise ses démons dans Câline et aborde des sujets trop souvent passés sous silence. A la manière du procédé de musique anemphatique utilisé dans de grands films, visant à faire contraster musique et situation, la réalisatrice ne fait pas qu’utiliser une BO à l’opposé de la gravité du scénario mais fait également contraster ce récit violent à la mise en scène. Tout est réuni dans ce film pour briller lors de la 48ème édition des Césars. 

Pauline G.